Curriculum Vitae - Bilan des 50

Curriculum Vitae - Bilan des 50

January 15, 202510 min read

Savoir ce qu’on veut faire dans la vie n’est pas une question légère. Parfois on croit savoir, mais on se trompe. D’autres fois on sait, mais on décide de faire autre chose. Pour tout un tas de raisons, bonnes et moins bonnes. C’est un peu comme ça que ça s’est passé pour moi.

1972

Je suis venu au monde un 1er novembre, jour de la Toussaint. Les cloches de la Cathédrale sonnaient et je suis né « coiffé », signe de chance. C’est, en tout cas, de cette façon qu’on me l’a maintes fois raconté. Petit dernier arrivé six ans après ma sœur et sept ans après mon frère. Pas prévu. Mais bienvenu. C’est aussi comme ça qu’on me l’a raconté.

Dans le cadre d’une enfance globalement “sans histoire”, j’ai grandi sous le regard aimant et admiratif de plusieurs femmes. Cela m’a donné la double certitude que je valais quelque chose - ce qui est très précieux - et que j’étais promis à une grande destinée - ce qui peut poser problème, surtout quand ce cadeau est livré sans son mode d’emploi.

Pour accomplir cette grande destinée j’ai longtemps cherché autour de moi des modèles masculins mais je ne les ai jamais trouvés. Mon père a fait ce qu’il a pu. Je n’ai rien à lui reprocher mais il avait déjà du mal à se situer dans sa vie à lui, donc il n’était pas vraiment disponible pour me guider en quoi que ce soit, alors il a fallu faire sans.

80's

Autour de moi, je voyais surtout des gens de la classe moyenne qui essayaient de se donner des airs de bourgeois. Un peu plus loin, je voyais aussi l’agitation de la vie parisienne et à travers tout ça, j’en arrivais à me dire que pour être heureux dans la vie il fallait pouvoir dépenser de l’argent. Beaucoup d’argent.

Et quand on n’en avait pas reçu à la naissance, il fallait trouver les moyens d’en gagner. Sans autre précisions sur les moyens de le faire…

Quand j’avais 10 ans, dans la petite ville de province où j’ai grandi, il y avait un chirurgien qui vivait dans un grand château. Alors j’ai cru que je voulais devenir chirurgien. Mais en grandissant, j’ai oublié ce fantasme d’enfant et je ne suis pas devenu chirurgien.

Adolescent, sans être un grand lecteur, j’étais très attiré par les livres, les mots et les idées. Mais on m’a dit que pour avoir le « bon bac », il fallait plutôt faire des maths et de la physique. Alors j’ai fait des maths et de la physique, sans grand intérêt et très médiocrement. A côté de ça, au lieu d’en faire mon sujet d’étude, j’ai utilisé les mots et les idées pour faire le malin. Bagout. Tchatche. Répartie qui fait mouche. Ce talent, bien futile, m’a permis de construire une identité sociale parfois valorisante mais force est de reconnaître qu’il ne m’a pas fait que des copains.

Curieux de tout, plutôt vif d’esprit mais fondamentalement flemmard, j’ai eu mon bac sans m’être jamais mis au travail, ce qui n’était pas la meilleure façon de me préparer à l’accomplissement de ma grande destinée. J’avais 17 ans et je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire à part grimper, le plus vite possible, tout en haut de l’échelle sociale. Très, très loin de mon point de départ.

J’avais vu Gordon Gekko au cinéma alors j’ai cru que je voulais devenir une superstar de Wall Street. Mais Manhattan est très loin du Loir-et-Cher et je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait faire pour accéder à ce monde-là, alors je ne suis pas devenu une superstar de Wall Street.

90's

Après ça, j’ai voulu faire Science-Po (Paris, évidemment !) mais je ne savais pas du tout comment on se préparait à ce type de concours d’entrée. J’ai eu 10/20 de moyenne.Comme au Bac. Mais cette fois, il fallait 12/20 pour être admis, alors je n’ai pas fait Science-Po.

Pour gagner un peu de sous je m’étais mis à bosser dans un centre d’appel. Et puis j’ai voulu gagner plus de sous alors j’ai passé beaucoup de temps dans ce centre d’appel et j’ai tout dépensé bêtement donc ça n’a pas été l’expérience la plus constructive de ma vie. Mais j’ai quand même profité de ces années-là pour faire des choses pas trop idiotes, notamment le sport et la lecture.

Jusque-là, je n’étais pas du tout sportif, alors j’ai eu envie de me mettre à la musculation. J’ai pris 15 kilos en 2 ans et ça m’a fait tout drôle de me retrouver dans un corps musclé. J’admirais Dorian Yates et Ronnie Coleman, mais il ne m’est jamais venu à l’idée de devenir un champion de body-building.

1993

En revanche, à 21 ans, j’ai rencontré Jeff Roberti, le top-vendeur d’une société de MLM américaine, alors j’ai cru que je voulais devenir une superstar de la vente. Je me suis mis à fond dedans, mais je trouvais quand même un peu con de passer mes journées à vendre des produits pas vraiment utiles à des gens qui n’en avaient pas vraiment besoin, alors je ne suis pas devenu une superstar de la vente.

Jusqu’au bac, je n’avais pas lu beaucoup de livres, mais depuis je m’étais mis à lire avec voracité. Science-fiction, polars américains et classiques avec aussi un peu de sagesse et d’ésotérisme. A 24 ans, j’ai fait mon service militaire, à la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris. Je ne me sentais pas à ma place dans le cadre militaire mais pendant 10 mois ça m’a donné du temps pour faire beaucoup de sport, lire et écrire. Ça me procurait beaucoup de joie et c’est toujours le cas aujourd’hui. Curieusement, à l’époque, l’idée ne m’est jamais venue de devenir écrivain, ni même prof de lettres.

1996

En revanche, juste après, j’ai rencontré Anthony Robbins qui était le coach de stars et Présidents comme André Agassi et Bill Clinton, alors j’ai cru que je voulais devenir une superstar du coaching. Je me suis mis à fond dedans, mais je trouvais quand même un peu con de prétendre transformer la vie des gens en leur vendant du rêve et des solutions simplistes à base de méthode Coué, alors je ne suis pas devenu une superstar du coaching.

2000

Et puis, j’ai rencontré Caroline, qui allait devenir ma compagne et la mère de nos deux enfants. Pour envisager de construire une famille avec elle, il fallait que je trouve un vrai boulot. Alors je suis allé dans une grande tour à la Défense où j’ai rencontré un monsieur avec un costume et une cravate qui m’a dit que je ne savais pas faire grand-chose mais qu’il m’aimait bien quand même. Je lui ai expliqué comment il devrait s’y prendre pour « booster la performance » de son équipe, ça l’a fait rigoler et il m’a dit « Chiche ! »

Ça a plutôt bien marché alors quand il est parti dans une autre tour de la Défense, avec son costume et sa cravate, il m’a emmené avec lui. Je lisais Fortune et Challenges.J’admirais des gens comme Jack Welsh et Carlos Ghosn alors j’ai cru que je voulais devenir un TOP EXECUTIVE dans une multinationale. Je me suis mis à fond dedans mais je trouvais quand même un peu con de bosser dans un système qui construit des usines à gaz autour du “comment” sans jamais se poser la question du “pourquoi” alors je ne suis pas devenu un TOP EXECUTIVE dans une multinationale.

2004

Comme je m’ennuyais un peu et que j’avais toujours envie de gagner des sous, j’ai commencé à vendre de l’immobilier à des gens qui voulaient payer moins d’impôts. J’ai monté une petite boite avec mon frère et un ami et ça a commencé à pas mal marcher.

J’admirais des gens comme Warren Buffet et Bernard Arnault alors j’ai cru que je voulais devenir un Self Made Entrepreneur pour gagner des milliards et changer le monde. Je me suis mis à fond dedans et après quelques très modestes réussites, j’ai un peu pêté les plombs en commençant à voir de plus en plus grand, en passant beaucoup de temps dans des avions et en faisant pas mal de bêtises avec l’argent des autres.

Au début c’étaient des bêtises à 1000€, puis à 10.000€, 100.000€, 1.000.000€

et ainsi de suite…

2014

Au bout de 10 ans, de fausses bonnes idées en vraies mauvaises décisions, je me suis réveillé un matin en constatant que ça n’allait nulle part et qu’il fallait arrêter les dégâts.

J’avais brûlé 18 millions de cash en m’agitant beaucoup, sans me montrer capable de construire un business vraiment viable, alors la suite a été très compliquée. Des gens avaient perdu beaucoup d’argent.

Il y a eu plainte, enquête, puis garde à vue et mise en examen. J’étais toujours présumé innocent, mais la juge d’instruction pensait que j’allais me sauver alors elle m’a fait mettre en prison. Fresnes. Matricule 984964.

Sur l'Affaire Vivalavi Bali - voir l'article dédié

2016

Quand je suis sorti, j’avais encore un bracelet électronique et il fallait que je gagne ma vie alors j’ai recontacté le monsieur avec son costume. Il ne portait plus de cravate mais il m’a présenté à un autre monsieur, un peu plus âgé que lui, qui avait créé une société de consulting dans la relation client à distance.

Les deux messieurs aimaient beaucoup le rugby. Ils m’ont dit que j’étais un flanker. Un gars qui n’est spécialiste de rien mais qui peut faire pas mal de choses, qui court beaucoup et qui sait se rendre utile sur le terrain. C’était bien vu. Alors ils m’ont pris dans leur équipe et on a fait un bout de chemin ensemble. Je ne me sentais pas à ma place dans l’univers des centres de contact, mais j’avais besoin de gagner ma vie et d’être présent pour ma famille alors ça m’allait bien.

Fin 2020, il y a eu le procès et j’ai été condamné à cinq ans ferme, pour escroquerie. J’ai fait appel, mais comme le Président du Tribunal pensait que j’allais me sauver, il a dit qu’il fallait me mettre tout de suite en prison. Fleury-Mérogis. Matricule 461979.

C’était la deuxième fois qu’un magistrat pensait que j’allais me sauver. Je n’ai pas vraiment compris, parce que je ne me suis jamais sauvé de nulle part et je me suis toujours présenté quand on m’a convoqué quelque part. Mais ces gens-là ont parfois des idées très arrêtées sur les choses, et ils n’écoutent pas vraiment quand vous leur expliquez votre point de vue.

Fin 2021, il y a eu le procès en appel, ma peine a été réduite à trente mois, et comme j’avais déjà passé beaucoup de temps en prison, la juge m’a dit que j’étais libre.

2022

Quand je suis sorti, les deux messieurs en costume m’ont expliqué que les temps avaient changé, que la situation était difficile et qu’ils n'avaient plus trop la place pour un flanker comme moi dans leur équipe. J’ai compris et je leur reste reconnaissant de m’avoir fait confiance, quelques années plus tôt, à un moment où je n’étais pas au top de ma forme.

Je dois avouer que s’ils m’en avaient offert l’opportunité, je serais reparti avec eux. Ça n’aurait pas été la bonne chose à faire dans une perspective d’épanouissement personnel mais, là encore, j’avais surtout besoin de gagner ma vie et d’être présent pour ma famille alors je l‘aurais fait. Mais la porte s’est fermée et j’ai dû me poser d’autres questions.

Comme : A 50 ans, sans argent, sans travail, sans diplôme et frappé d’interdiction d’exercer les métiers dans lesquels j’avais acquis une certaine expérience, qu’est-ce que j’ai vraiment envie de faire de ma vie ?

Ça n’était évidemment pas la première fois que je me posais cette question et comme à chaque fois, depuis mes 25 ans, ma réponse fut la même : lire, écrire et faire du sport.C’était évident mais à ce moment-là, et sous la pression d’une certaine urgence, je ne voyais pas du tout comment je pouvais gagner ma vie en le faisant.

C’est alors que le vélo est arrivé dans l’équation et j’ai décidé d’en faire le point de départ de ma reconversion.

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